Je gère naturellement me semble-t-il la conscience
des cycles. C'est heureusement un paramètre auquel je
ne dois pas (trop) penser. Si je crée, en improvisant,
un polyrythme, c'est que inconsciemment (sans doute), je peux
le gérer dans sa structure, dans ses accentuations et
dans le cycle qu'il génère.
Le problème se complique si je reprends au vol un
polyrythme créé par un partenaire ou si, par défi
(et comme exercice, chez moi, à l'aise) j'essaie de gérer
un polyrythme créé par quelqu'un d'autre (à
l'audition d'un disque ou trouvé dans le début
d'un morceau, par exemple). Il m'arrive (heureusement...) d'être
en difficulté. Je fais alors appel à un vieux
processus qui fait partie de ma pédagogie. Toujours penser
par 4 mesures. Donc, écrire ou réécrire
un morceau existant par 4 mesures, si ce n'est pas le cas. La
grille d'accords sera évidemment disposée de la
même manière. Et là, la mémoire visuelle
joue et, en fermant les yeux, je peux voir sans trop de difficultés,
les 4 mesures (donc la 1re ligne) qui se remplissent
et puis la 2me, voire plus loin.
En résumé, car j'ai été trop
long : pour moi, le feeling m'aide beaucoup et le processus
indiqué ci-avant est un ultime recours.
Richard Rousselet
Mon sentiment est que je cherche inconsciemment
la paire dans les comptes. Une fois un laps de temps écoulé
(qui devient l'unité), j'attends le même laps de
temps. De même, lorsque je suis à l'aise dans une
structure, je sens quand on passe le cap de la moitié
ou du tiers.
Xavier Tribolet
Comme tu sais, je fais partie du groupe "Greetings >from Mercury"
où je suis constamment confronté avec 1. des mesures
impaires et 2. une superposition de plusieurs mètres.
Dans les deux cas, je fais une maquette du morceau dans
"Cubase" pour pouvoir écouter et finalement jouer avec
l'ordinateur. D'abord comprendre avec la tête et ensuite
sentir le rythme en jouant. Ensuite, il y a les répétitions
avec tout le groupe, où on travaille 2 choses: 1. la
mise en place des thèmes et tous les autres paramètres
"exacts" et 2. le travail des improvisations avec la rythmique
et les discussions sur les différentes manières
de ressentir la même donnée rythmique (par exemple:
"Vaut-il mieux sentir le groove en 3,5 ou en 7 ?").
Et finalement il y a le "live", nous jouons souvent les
mêmes morceaux en public et grâce à ça
les tempos changent, on attribue un certain "feel" à
chaque morceau et la magie peut commencer.
Peter Hertmans
En situation de jeu, j'essaie d'intégrer la pulsation
de base par un balancement régulier du corps avant-arrière,
qui donne un temps fort sur la position "avant". Ensuite, j'imagine
et joue le rythme et les intervalles d'une cellule mélodique
préalablement utilisée, en la tronquant ou la
prolongeant arbitrairement. Je répète ce nouveau
schéma rythmique tout en conservant la perception de
la pulsation initiale par le balancement suggéré,
et par l'écoute de la basse.
Alain Rochette
Un blues de 12 mesures en 4/4, 3/4, 6/8 ou 12/8 m'habite
en tant que blues de 12 mesures, avant tout. Par contre, un
morceau comme "Solar" (faux standard de seulement
12 mesures) me paraît "logique" à l'exposé
du thème, mais me demande concentration à l'impro,
car la structure harmonique pourrait me dévier, me dérouter
par référence à des standards plus "carrés"
de 16 ou 32 mesures.
De la même façon avec "Blue in Green"
(10 mesures). Dans le contexte
novateur de "Kind of Blue", l'album où Miles
Davis a voulu institutionnaliser l'usage de la modalité
dans le jazz, il semble probable que "Blue In Green"
est destiné d'une certaine manière à piéger
l'auditeur (il n'est exposé qu'une fois, à part
l'intro furtive du piano) : à la première écoute
(je m'en souviens) on se demande un peu ce qui se passe; selon
qu'on n'analyse pas ou qu'on analyse la structure lors de notre
écoute, on a des perceptions très différentes
de "Blue in Green" me semble-t-il. C'est une ballade
qui ensuite sera souvent mal jouée à cause de
cela : vue sa structure inhabituelle, les musiciens y accumulent
souvent les points de repères structurels au détriment
de la continuité, donnant inéluctablement un sentiment
de rupture à chaque passage de la dernière à
la première mesure du cycle - ce qui est le contraire
de l'effet escompté -. Un peu comme dans les morceaux
en 5/4, 7/4, 9/4 etc où on pèse 10 tonnes sur
le premier temps pour bien se rassurer qu'on est ensemble!.
(je caricature)
Miles Davis appelait dédaigneusement (il faisait
presque tout dédaigneusement!) les compositeurs funk
ou rock : "the four-bars composers" (il aurait pu
dire, dans pas mal de cas les one-bar /two-bars composers),
pensant à ceux qui font tourner un cycle de 2 ou 4 mesures,
démarche typique de l'utilisation des logiciels musicaux
informatiques. Prince est L'exemple. Mais longtemps avant, James
Brown l'était aussi - et est d'ailleurs devenu La référence
de la dance music des années 80 et suivantes, comme on
sait.
J'ai posé un jour la question à des amis musiciens
de pupitre (et en même temps jazzmen) : quelles sont les
grandes différences de comportement entre vous (issus
du jazz) et vos collègues issus du classique, au cours
d'une exécution où vous êtes mélangés.
Il y avait des typologies intéressantes, mais selon mon
témoin principal (Alex Scorier en l'occurrence, mais
les autres l'ont rejoint), la principal différence n'était
pas technique - en termes d'exécution ou de lecture,
ou de suivi du chef d'orchestre -, mais plutôt dans la
perception du temps [de la durée]. Alex prétendait
que, dans les longs silences (fréquents pour des sections
de cuivres notamment), les "classiques" comptaient
ostensiblement pour savoir quand reprendre, alors que pour un
jazzmen, 32 mesures (et même plusieurs fois 32 mesures)
était une distance imprimé de leur 'hardware'
: ils réattaquaient sans compter et sans erreur.
Ce que je trouve intéressant dans ta question, c'est
que ça s'apparente un peu à l'analyse psychologique
(psychanalyse, psychiatrie, etc). Il me semble que c'est par
l'analyse du dysfonctionnement qu'on découvre le
fonctionnement (au contraire du reste de la médecine
qui analyse la "bonne santé" pour effacer les
déviances, comme on sait).
Mais il m'est impossible de me souvenir de l'effet
que produisait sur moi l'apprentissage des cycles 4, 8, 16,
32 mesures. Un jour j'ai simplement été capable
de les percevoir sans y réfléchir. Maintenant,
c'est un peu le
contraire : j'ai du mal en m'affranchir de ces métriques
stéréotypées :
elles font partie de mon système neurovégétatif,
comme la respiration et les battements de coeur, avec ce inconvénient
assez fâcheux au fond, que je dois faire un effort pour
m'imprégner des autres cycles.
J'insiste sur un aspect qui me paraît très
important. Si l'on invite des
musiciens de pratiques différentes (jazz, rock, funk,
etc) à improviser sur un mode (un accord), ils se comporteront
assez différemment en fonction de leur horizon musical.
Les jazzmen construiront souvent sur un multiple de 8 mesures,
là où les autres développeront plutôt
des phrases sur deux ou quatre mesures, soit même sans
structure particulière. Il est probable que les jazzmen
auront moins "peur du silence", puisqu'ils pensent
en plan plus large et laisseront davantage respirer leur solo.
Cela relève bien sûr aussi de la place et du rôle
de l'impro selon les types de musique; clairement, elle n'est
centrale que dans le jazz. Mais c'est pour cela que c'est important
: l'impro est le type d'expérience où la perception
des cycles est la question la plus fondamentale. Toute la question
est que la perception des cycles est culturelle et idiosyncrasique,
puisqu'elle relève simultanément (et même
en leur absence) de paysages surtout harmoniques mais même
mélodiques subconscients.
Voilà, il y a un peu plus, je vous le mets quand
même, comme dit le boucher. Je m'aperçois en tout
cas que c'est un sujet qui descend très loin dans les
anfractuosités de la réflexion. J'en suis même
surpris, à ce point. Ça pourrait même m'empêcher
de dormir, comme le coup de la barbe au-dessus ou en-dessous
des couvertures.
Marc Moulin
Comme tu sais, les "non-jazzmen" de mon espèce
(...bien que grand
"consommateur" de jazz, dans mon cas !), et surtout
ceux qui fréquentent régulièrement le répertoire
contemporain (encore moi...), ne sont presque jamais confrontés
à ce problème des "cycles" de mesures
régulières...
Nos problèmes sont plutôt de l'ordre de la
gestion des polyrythmies complexes entre plusieurs musiciens
, des changements brutaux dans les rapports de tempi, de "réponse"
d'un son par rapport au geste reçu, de respiration, etc...
Même dans le répertoire classique, je crois
que nous pensons beaucoup plus le temps musical en termes de
"périodes structurelles", de "phrasé",
de "logique d'expression", de "direction, de
mouvements dynamiques", de "rubato", etc., qu'en
termes de "Cycles" de X mesures...
Ce qui ne veut certainement pas dire que nous n'avons pas
de... problèmes de rythme !!!!!
Georges-Elie Octors
Dans une polyrythmie familière, donc expérimentée,
vécue, assimilée tant que possible, le cycle prend
sa place dans la palette des pulsations ; j’aurai ainsi
à gérer la pulsation-rythme (en général
la pulsation correspondant à la plus petite valeur de
note contenue dans le rythme), la pulsation-temps (le tempo)
et la pulsation-cycle (l’espace temporel occupé par le
ou les cycles émergeant de la polyrythmie). Par "gérer",
j’entends "vivre" les rapports qui s’établissent
entre ces diverses pulsations de par leur valeurs temporelles
et qui sont assimilés au point d’être non plus
multiples mais "un". Mais quel long chemin pour en
arriver là !
Denis Orloff
Tout d'abord dans ce genre de situations, je suis en général
assez larguée! Comment je m'en sors ? J'écoute
bien tout le monde, et je tâche de bien sentir la valeur
commune à tous, la double croche dans le pire des cas.
Sans arriver à prendre vraiment conscience de tout ce
qui se passe autour de moi, ce système marche bien.
Ensuite pour sentir les cycles, l'instinct, tel que je le
développais à tes cours, c'est à dire sans
compter réellement, en faisant confiance à ma
perception du temps ( des cycles ), mais il m'arrive de devoir
compter discrètement, 1, 2, 3, 4, etc...ou de choisir
un mouvement du pied, gauche-droite, en accentuant le début
de chaque cycle à gauche, par exemple, un repère
physique.
L'analyse de la situation au préalable, quand c'est
possible, c'est à dire en étudiant chaque partie,
me permet de prendre des repères, presque toujours en
commençant par la ligne de basse. Dans ce cas, il m'est
parfois possible de sentir les cycles dans la décomposition
d'un autre, tout en conservant la mienne, c'est sûr, c'est
l'idéal.
Finalement, c'est un peu comme fixer un point devant soi,
tout en essayant d'avoir une perception globale des éléments
qui l'entourent, qui sont en mouvements, mais sans se laisser
distraire par eux, c'est mon système D de sauvegarde,
je n'arrive pas encore vraiment à conscientiser plusieurs
formules rythmiques en même temps, alors que curieusement,
pour ce qui est des notes...
Anne Wolf
Pour moi il y a deux possibilités : 1) on sent
le polyrythme et on ne doit donc pas "réfléchir"
pour le jouer, 2) on ne sent pas le polyrythme et on doit forcément
"calculer" ou subdiviser pour arriver à l'exécuter.
Jan De Haas
Etant un autodidacte, c'est par instinct que je me suis intéressé
au jazz et je pense que c'est en écoutant des disques et
par là en retenant des phrases par cœur que j'ai assimilé
assez facilement les cycles. Surtout ne pas compter ! Les durées
4 8 12 doivent s'ancrer naturellement en soi.
Robert Jeanne
Pour répondre brièvement à tes questions,
je n'ai certainement pas la clé universelle qui permet
à chacun de maîtriser tous les aspects du rythme
musical que tu évoques. Comme pour la musique en général,
au plus tôt on commence, au mieux cela vaut... C'est dire
que je déplore hautement l'insuffisance chronique de
notre enseignement du jour en cette matière essentielle!
Comme l'ont fait, je suppose, les premiers humains, c'est
par la voix et les percussions qu'il faut commencer, sans accessoire,
avec le corps même, si riche en possibilités sonores:
durant toute notre vie, nous transportons, pour ainsi dire,
notre propre instrument avec nous. Et, dans le même ordre
d'idée, on aura toujours grand intérêt (et
grand joie) à lier, comme le font les Africains, le chant,
les percussions et la danse. Egalement, des cellules mélodiques
simples, quasi mnémotechniques ainsi que des schémas
physiques des mains ou des pieds aident grandement à
l'assimilation consciente ou inconsciente des cycles dans les
situations polyrythmiques. L'imitation des rythmes africains
et cubains est évidemment dans ce domaine une source
continue d'enrichissement; mais, la polyrythmie se trouve déjà
très tôt dans notre musique occidentale. Les pianistes
trouveront avec profit dans les sonates classiques de nombreux
exemples d'oppositions 3/2 ou 4/3.
Quant à la question de ressentir sans compter les
cycles de 4, 8 ou 16 mesures, quoi de plus facile que de chanter
intérieurement une simple mélodie correspondant
au nombre de mesures? A chacun de trouver ses propres références
qui peuvent aller de "Frère Jacques" à "Giant
Steps". Quant au cycle de 32 mesures de schéma AABA,
les musiciens américains l'appellent parfois "I Got Rhythm",
invitation à sous-entendre, pendant la durée voulue,
le célèbre thème de Gershwin pour ce que
nous appelons l'"Anatole".
Marc Hérouet
Je ne peux que te répondre de manière instinctive.
Je ne suis pas très sûr d'être très
bon sur ce coup-là, J'ai ma petite danse et je démarre
toujours sur le pied gauche…
Frankie Rose
Difficile de répondre simplement, vu qu'il y a plusieurs
méthodes que j'utilise suivant les circonstances.
Ce qui me parait clair dans certaines circonstances, c'est
que j'amplifie démesurément le temps qui débute
la mesure, pour être sûr de ne pas le perdre (surtout
dans le cadre de mesures asymétriques), et j’essaye de
ressentir la respiration naturelle que l'on place dans le courant
de chaque quatrième ou septième/huitième
mesure. Pour cela la mélodie m’aide souvent. Surtout
si elle est de carrure "normale", par exemple A interrogatif,
A conclusif, B, A conclusif.
Si la mélodie ne peux pas m'aider (par exemple si
la grille d'impro est différente de celle de la mélodie),
alors je me crée une mélodie qui répond
à ce type de schéma simple du genre AABA. Cette
mélodie créée ressemble plus à une
sorte de scat marmonné entre les dents, ou même
simplement pensé (ou plutôt ressenti au niveau
de la respiration). Il n'y a donc pas vraiment de dessin mélodique,
mais plutôt une pulsion qui se termine, à la 4ème
ou 7-8ème mesure de manière interrogative une
fois sur deux, et conclusive l'autre fois.
Fabien Degryse
Lorsque j'ai commencé à jouer de la guitare,
j'ai entendu des thèmes de 12 mesures : les blues
de boogie woogie. Je les ai même joués au piano :
Count Basie, Bill Hailey, 1955 : "Rock Around the
Clock", Fats Domino… La main gauche piano boogie woogie
m'est resté ancrée tout de suite dans le corps.
Je trouvais incompréhensible que certains de mes copains
ne respectaient pas la forme en sautant une ou plusieurs mesures.
Pareil pour les thèmes de seize ou trente-deux mesures.
C'est comme si j'entendais dans ma tête la structure du
thème se dérouler en boucle. Je suis incapable
de dire avec certitude si c'est la durée, la mélodie
ou la grille d'accord. Je pencherais sans doute pour cette dernière
afin de donner tout de même une indication. Ou peut-être
même une combinaison des trois…
Philip Catherine
Pour ma part, je pense qu'il est important d'abord de différencier
la gestion de la pulsation de celle des cycles rythmiques. La
première est une base à laquelle nul ne devrait
échapper. La gestion du "temps qui passe" transite par
un étalonnage régulier. Cet étalonnage
régulier a néanmoins d'un point de vue physique
un rôle et un effet différents suivant sa position
au sein d'une mesure.
Personnellement je pense ressentir une sensation physique
et mentale différente sur chaque temps qui me permet
de me situer au sein d'une mesure. Exemple : une mesure en 4
contient des temps 1Fort 2faible 3Fort 4faible (c'est la théorie
musicale classique), mais je parviens à différencier
le 1 du 3 (cela n'a rien d'extraordinaire, je sais). Donc, je
pense m'attribuer mentalement et physiquement une "échelle"
virtuelle de dynamiques.
En ce qui concerne les cycles de 4, 8 et 16 mesures, je
pense procéder par l'assimilation d'une mesure complète
à un nouveau temps et, par conséquent, recréer
une échelle virtuelle plus lente en pulsation et longue
en temps (8 mesures deviennent 2 temps et 16 mes. 4 temps).
NB : je peux me retrouver éventuellement dans un autre
découpage (ex : 8 mesures deviennent 4 temps), mais je
suis incapable de passer d'un découpage à l'autre.
Lors de travail de polyrythmes, j'essaie d'appliquer ce
même principe. L'échelle peut parfois (souvent)
être ébranlée s'il y a trop d'oppositions
entre la dynamique de mes mouvements, de ma voix ou encore de
ce que j'écoute et la dynamique virtuelle que je me suis
fixée d'où la nécessité absolue
de garder au minimum la sensation dynamique du 1er temps de
chaque mesure. Mon passé musical, mes acquis, mes influences
musicales, mon expérience et la musique que je joue me
permettent de combattre naturellement ces oppositions dans une
certaine mesure. Le reste c'est du travail.
Jacky Coppens
J'ai beaucoup joué avec des musiciens africains et bien
souvent quand je croyais avoir compris où était
le temps je regardais leurs pieds et presque à chaque fois,
ils battaient un autre temps que le mien ! Pour rentrer dans le
même groove qu’eux, on est obligé de comprendre le
temps exactement comme eux. Cela donne son plein sens à
la musique que l'on joue. C'est par immersion, au delà
de la musique, dans la vie de tous les jours, que j'ai petit à
petit pu entrer dans cette perception du rythme. Où le
temps est en fait pluriel, la dynamique rythmique vient de cette
superposition qui fait que les mesures se touchent et rebondissent.
Pietro Vaiana
En ce qui me concerne, l’apprentissage des cycles de 2,
4, 8, 16 et 32 mesures s’est fait par une longue pratique de
musiques fonctionnant sur ces canevas (blues, standards de jazz,
funk,…). La polyrythmie au sens où on l’entend dans le
milieu musical (superposition de métriques différentes
qui se rejoignent de façon cyclique), je l’ai travaillée
par l’usage de petites percussions dans lequel elle est d’abord
gestuelle et sonore. Je n’ai cependant pas énormément
approfondi la question, je me suis arrêté aux superpositions
de 2, 3 et 4.
Par contre dans ma pratique pédagogique, le travail
que nous avons fait avec toi m’a apporté énormément :
je fais un usage important du système de pas que tu nous
as transmis, combiné avec le système indien de
découpage du temps (thaka, thakita, thakadhimi,…). Cette
méthode donne très rapidement d’excellent s résultats,
surtout avec un public n’ayant pas d’éducation musicale
qui en apprécie le côté ludique. J’ai par
exemple mis sur pied un orchestre de percussions en 96 heures
avec des enfants de 10 à 12 ans en y incluant des polyrythmies
de type "clave" ; sans cette méthode,
je n’y serais pas arrivé.
Il est utile de souligner que, pour des non musiciens ou
des musiciens débutants, la superposition de croches,
de triolets, … à des noires est loin d’être chose
simple. C’est déjà de la polyrythmie au sens strict
du terme, c’est à dire exécuter des rythmes différents
avec différents membres (du corps).
Je suis donc convaincu qu’un travail corporel du rythme
en change la perception de façon fondamentale tandis
qu’une approche intellectuelle fabrique des "impuissants"
rythmiques. Na !
Alexandre Furnelle
Que nous parlions de la position des planètes ou de
l’évolution de l’humanité, des animaux et des
plantes, toutes les choses se déroulant dans le temps
sont soumises à des cycles. Puisque l’homme vit dans
le temps et fait donc partie des cycles, il lui faut les comprendre
sur le plan émotionnel et/ou intellectuel. Il doit les
étudier, apprendre à les connaître, à
les utiliser afin de pouvoir se situer. Par nécessité,
cette activité est devenue une sorte de seconde nature,
un "instinct" même pourrait-on dire.
Si l’on applique cette idée à la musique, où
les cycles sont parfois capricieux, il nous faut a priori être
en mesure de faire appel à cette "seconde nature".
Celle-ci s’est construite d’après notre expérience
et s’avère bien plus rapide que l’intellect.
La seconde nature "sait", l’intellect "apprend".
Raf Schillebeeckx
En ce qui concerne les cycles de quatre, huit ou seize mesures
avec ou sans polyrythmes superposés, je fonctionne comme
suit :
S’il n’y a pas de superposition, je peux aisément sentir
un cycle sans compter quelle que soit sa longueur. Je pense
que cela vient du fait d’avoir écouté depuis toujours
de la musique basée sur ce système de quatre,
huit ou seize mesures (ex : la chanson française,
le jazz, la musique pop). Il en va de même pour les polyrythmes
"faciles", ce qui est subjectif, bien sûr (ex :
3 sur 2 ou encore 4/8 sur 9/8).
Si la superposition des rythmes est plus complexe, comme par
exemple un groupe de triolets de neuf croches en 5/4, au commencement,
j’aime avoir un repère (une séquence rythmique
et/ou harmonique comme un pattern de percussion, une ligne de
basse etc.), de façon à ne pas perdre le contact
avec la pulsation d’origine. Parfois aussi, j’aime compter à
voix haute pour assimiler une nouvelle difficulté, ça
dépend. Cette approche m’aide à mieux appréhender
ces polyrythmes "difficiles", afin de, petit à
petit, les jouer plus "naturellement", c.-à-d.
de pouvoir me débrouiller seul quel que soit le cycle.
En général, je n’ai pas de problème particulier
avec la longueur des cycles tant qu’il s’agit d’un multiple
de quatre.
De temps en temps, il m’arrive d’imaginer des polyrythmes
trop "évolués" pour moi, et je me perds
après seulement deux ou trois mesures (ex : un cycle
de 9 doubles croches avec un accent sur la quatrième
en 4/4). Il ne me reste alors qu’à analyser ce que j’ai
entendu et pratiquer avec un support (voir ci-dessus) en espérant
m’en détacher par la suite…
Il est évident qu’à force d’y penser, de les
travailler, les polyrythmes deviennent plus accessibles et finissent
par faire partie de notre langage ; mais, pour ma part,
il est très rare que je puisse contrôler une superposition
complexe de rythmes sur un cycle long sans avoir au préalable
répété et/ou analysé cette même
superposition.
Philippe Mobers